L’Union européenne, la France en particulier, et les pays riches en général, vont-ils enfin consentir à accepter de lever les brevets sur les vaccins et médicaments contre la COVID-19 comme le réclament les pays du Sud depuis des mois ? Ces 10 et 11 mars, l’OMC est en effet à nouveau saisie de la proposition portée par l’Afrique du Sud et l’Inde, et soutenue par plus d’une centaine de pays pauvres, visant à activer les dérogations prévues dans les accords ADPIC sur la propriété intellectuelle permettant de lever les brevets en cas de crise sanitaire. Les pays riches, s’y opposent.
Dans une déclaration rendue publique ce jour, plus d’une 40 d’organisations de la société civile européenne, dont plus d’une dizaine françaises parmi lesquelles le collectif Stop CETA-Mercosur, appellent l’UE et les États-membres à revoir leur position et, plus généralement encore, à réformer profondément la politique commerciale européenne, ainsi que les règles de protection de la propriété intellectuelle, qui sont source de danger pour l’ensemble d’entre nous : "personne n’est en sécurité tant que tout le monde n’est pas en sécurité".
En mai 2020, Emmanuel Macron affirmait qu’il fallait "faire en sorte qu’un vaccin contre le Covid-19, lorsqu’il sera découvert, bénéficie à tous, comme un bien public mondial". Ces mots vont-ils à nouveau rester une promesse en l’air ? A l’heure où le directeur général de l’OMS demande aux États de soutenir la levée des brevets sur les vaccins à l’OMC, il est urgent que l’UE et la France revoient leur position.
Vous trouverez ci-dessous en français cette déclaration. Elle est également disponible ici en anglais.
« La position scandaleuse de l’UE qui consiste à s’opposer à la proposition de mise en oeuvre de dérogations sur les droits de propriété intellectuelle est l’aboutissement d’une politique commerciale qui place le profit bien avant la santé publique. »
Personne n’est en sécurité tant que tout le monde n’est pas en sécurité
Les règles mondiales actuelles en matière de propriété intellectuelle sont une menace pour la santé publique
Alors que la pandémie de COVID a coûté la vie à plus de 2,5 millions de personnes, tant d’autres ont tout simplement perdu leurs moyens de subsistance. Le principal défi collectif de l’humanité est aujourd’hui d’y mettre un terme. Si les pays les plus riches peuvent désormais voir une lueur d’espoir au bout du tunnel, plus de la moitié du reste du Monde est confrontée à un sinistre scénario.
Des vaccins aux médicaments, tous les moyens possibles permettant de lutter contre la pandémie doivent être mobilisés, y compris en prenant des initiatives audacieuses visant à nous faire tous sortir de la zone de danger. Malheureusement, ceux qui prétendent nous représenter ne sont pas à la hauteur de ce défi. L’Union européenne (UE) rejette ainsi la proposition qui consisterait à suspendre les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins, le matériel de tests et les médicaments. C’est une honte et cela doit être inversé.
Le vaccin comme bien universel, commun - ou non
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a trouvé le ton juste en avril 2020, lorsqu’elle a déclaré : « nous devons développer un vaccin. Nous devons le produire et le déployer aux quatre coins du monde. Et le rendre disponible à des prix abordables. Ce vaccin sera notre bien universel et commun ».
Malheureusement, cette déclaration pourrait rester dans l’Histoire comme une simple et nouvelle déclaration hypocrite si la position actuelle de l’UE est maintenue. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) discute actuellement d’une proposition visant à renoncer aux droits de propriété intellectuelle pour faire place à une production massive de vaccins, de matériel de tests et de médicaments. Tout bien considéré, cette proposition portée par l’Inde et l’Afrique du Sud est sage et judicieuse. On ne peut pas permettre à quelques entreprises pharmaceutiques de détenir un monopole sur la production des moyens nécessaires pour lutter contre la pandémie. Quant à leur revendication de « propriété » sur ces produits, elle est infondée au vu du financement public massif mobilisé qu’ils ont obtenu pour la recherche, le développement et la production de pratiquement tout ce qui est lié à la lutte contre le virus.
La charité n’est pas la solution
Pour assurer une distribution mondiale des vaccins, la stratégie de l’UE est actuellement fondée sur la charité. Mais rien ne permet de penser que cela nous rapproche d’une solution :
- L’expédition des vaccins à partir du dispositif COVAX, qui repose principalement sur les dons des pays, n’a commencé que lentement à la fin du mois de février. Il faudrait des années pour terminer le travail de cette manière.
- Quelques grandes entreprises, dont des multinationales du numérique, ont fait des dons financiers, mais cela semble avant tout être un exercice de communication.
- Rien n’indique que les entreprises pharmaceutiques seront à la hauteur de la responsabilité qui leur a été confiée. La Commission européenne affirme que les entreprises pharmaceutiques sont censées « s’engager à atteindre l’objectif d’un accès universel et abordable aux diagnostics, aux traitements et aux vaccins ». Une telle déclaration sonne creux en regard des dons bien modestes effectués par les propriétaires des brevets jusqu’à présent, et - avant tout - ces multinationales s’accrochent à leurs monopoles du mieux qu’elles peuvent.
Les monopoles constitués sur la base de brevets sont au cœur du problème. Dans le monde entier, il existe de nombreux producteurs qui sont prêts à fournir des milliards de vaccins. Des usines entièrement équipées dans plusieurs pays attendent la mise au point finale d’un vaccin, ou attendent le résultat des négociations avec les propriétaires des brevets. La suspension des droits de propriété intellectuelle réduirait le temps de la pandémie.
Main dans la main avec Big Pharma
Pourtant, les représentants de l’Union européenne ont vigoureusement combattu cette proposition et ils nous ont montré une fois de plus qu’en matière de politique commerciale, les intérêts des entreprises priment sur toutes les autres considérations, y compris la santé publique.
Ce n’est pas la première fois que les contradictions entre la santé publique et les droits de propriété intellectuelle deviennent aussi douloureusement visibles. Il y a 20 ans, un conflit s’est noué au coeur de l’OMC entre les pays en développement et, déjà, les pays du Nord, à propos de l’application de l’accord ADPIC sur la question des médicaments antirétroviraux contre le VIH/SIDA. Les traitements ont ainsi été tenus hors de portée de millions de personnes infectées. Finalement l’UE, les États-Unis et d’autres pays ont été contraints d’accepter une certaine flexibilité.
Bien qu’il s’agisse d’un pas en avant, il devrait être clair pour tout le monde que les règles mondiales actuelles sur les droits de propriété intellectuelle représentent une menace pour la santé publique. Les dérogations négociées à l’époque sont insuffisantes, non seulement en cas d’urgence mondiale, mais aussi pour le quotidien. Elles n’offrent pas suffisamment de souplesse pour être en mesure de fournir des médicaments bon marché et elles n’ont pas permis d’arrêter les puissantes pressions incessantes des multinationales pharmaceutiques et de leurs puissants alliés politiques visant à supprimer la production de génériques.
Saper la flexibilité
L’Union européenne est l’une des puissances mondiales dont la responsabilité est engagée sur les évolutions récentes. Au cours des dernières décennies, nous avons vu l’UE se lancer dans une quête aveugle et impitoyable pour soutenir les multinationales pharmaceutiques avec des droits de propriété intellectuelle onéreux. Non seulement l’UE s’est battue à la table des négociations pour réduire au minimum les dérogations à l’accord ADPIC, mais nos représentants ont tout de suite fait de leur mieux pour saper ces mêmes dérogations par le biais d’accords commerciaux bilatéraux.
Actuellement, ces dérogations peuvent être activées à condition qu’il soit possible d’utiliser une « licence obligatoire ». Sachant très bien que la condition préalable est l’accès aux données du titulaire du brevet, l’UE a systématiquement oeuvré depuis deux décennies pour conclure des accords avec le plus grand nombre possible de partenaires commerciaux afin qu’ils reconnaissent au contraire une « exclusivité des données » aux titulaires de brevets, ce qui rend de fait les dérogations prévues par l’accord ADPIC nulles et non avenues.
Cet état d’esprit nous a menés là où nous sommes aujourd’hui : la position scandaleuse de l’UE qui consiste à s’opposer à la proposition de mise en oeuvre de dérogations sur les droits de propriété intellectuelle est l’aboutissement d’une politique commerciale qui place le profit bien avant la santé publique. Et avec la pandémie de COVID-19, elle est poussée à l’extrême. Cette position est inacceptable non seulement pour des raisons morales, mais elle est aussi désastreuse pour nous tous. Accepter que les vaccins n’atteignent qu’environ la moitié des pays du monde d’ici 2023, c’est accepter le risque de nouveaux variants qui pourraient saper l’efficacité des vaccins existants.
Il est temps de changer la politique commerciale de l’UE
C’est donc le moment où nous devons modifier la politique commerciale de l’UE. Le régime mondial des droits de propriété intellectuelle sur les produits pharmaceutiques s’est révélé dangereux, et la recherche de nouvelles règles doit commencer immédiatement. Il est nécessaire de reconnaître que la production de génériques doit être rendue possible. Nous devons faire une place considérable au partage des technologies. C’est nécessaire pour la santé publique dans le Sud global, ainsi que dans le Nord global, où les médicaments à prix excessivement élevés menacent l’accessibilité des systèmes de santé. Il semble que ce soit la seule façon pour nous de respecter nos obligations en matière de droits humains. L’accord ADPIC doit disparaître et nous devons prendre un nouveau départ.
Un changement de position de l’UE est nécessaire
Pour que ce processus commence, nous avons besoin d’un changement au sein même de l’UE. Dans un premier temps, nous devons de toute urgence faire en sorte que nos représentants soutiennent la dérogation proposée par l’Inde et l’Afrique du Sud. Dans un deuxième temps, nous devons mettre en oeuvre une réforme plus large des règles relatives aux droits de propriété intellectuelle, tant au niveau mondial qu’au niveau national.
Signataires :
Attac Austria | Austria |
Aufstehn.at | Austria |
Center for Encounter and Active Non-Violence | Austria |
AIHTA | Austria |
Praxis 16 | Austria |
CNCD-11.11.11 | Belgium |
KULU-Women and Development | Denmark |
Corporate Europe Observatory | Europe |
Seattle to Brussels Network | Europe |
Aitec | France |
alofa tuvalu | France |
Attac France | France |
Collectif contre le gaz de schiste de Montpeyroux, Arboras, Aniane 34 | France |
Collectif national Stop CETA-Mercosur | France |
Confédération Paysanne Tarn | France |
Fédération Artisans du Monde | France |
Ligue des Droits de l’Homme | France |
Les Amis du Monde Diplomatique | France |
PSo 15 | France |
Remix the commons | France |
Réseau Foi & Justice Afrique Europe antenne France | France |
Réseau Roosevelt-idf | france |
PowerShift e.V. | Germany |
Forum Umwelt und Entwicklung | Germany |
Nature Friends Greece | Greece |
Social intervention for West Athens | Greece |
OIKO.POLI.S | Greece |
Greenpeace | International |
Sial Cobas | Italy |
Stop TTIP Italia | Italy |
transform ! italia | italy |
FNV | Netherlands |
Transnational Institute | Netherlands |
TROCA- Plataforma por um Comércio Internacional Justo | Portugal |
Umanotera | Slovenia |
Handel Anders ! coalitie | the Netherlands |