« Si le seul outil que vous avez est un marteau, vous tendez à voir tout problème comme un clou » dit l’adage. C’est un peu l’impression que donne l’Union européenne à vouloir conclure à tout-va, et à n’importe quel prix, des accords de libre-échange alors que la mondialisation est remise en cause aux quatre coins de la planète et que la guerre commerciale entre grandes puissances s’étend. Après avoir annoncé avoir conclu les négociations avec le Mercosur en décembre 2024, puis avec le Mexique, tout en espérant conclure celles avec l’Indonésie en 2025, et en rouvrant celles avec la Malaisie, l’UE espère conclure un accord de libre-échange avec la Thaïlande au cours de l’année 2025.
Cela fait des années que l’UE rêve de conclure de vastes accords de libéralisation du commerce et de l’investissement avec les pays d’Asie du Sud-Est, au nom de la concurrence avec la Chine et de la volonté d’ouvrir de nouveaux marchés aux multinationales européennes afin qu’elles profitent de la croissance économique du sud-est asiatique. Un vaste accord régional se révélant impossible, l’UE a décidé de négocier avec chacun des États concernés : les négociations ont abouti avec Singapour et le Vietnam respectivement en 2019 et 2020. Elles se poursuivent avec l’Indonésie et les Philippines. Elles viennent de reprendre avec la Malaisie. Et elles pourraient se conclure avec la Thaïlande en 2025.
Entamées en 2013 avec quatre premiers rounds, les négociations d’un accord de libre-échange avec la Thaïlande ont été stoppées suite au coup d’État mené par le général Prayut Chan-o-cha en avril 2014. Si les relations diplomatiques UE-Thaïlande ont été normalisées après les élections de 2019, c’est en mars 2023, près d’une décennie après leur arrêt, que l’UE et la Thaïlande ont relancé des négociations pour un accord de libre-échange. Plusieurs rounds de négociations ont eu lieu depuis, et un prochain est prévu fin mars 2025.
Ces négociations se déroulent dans la plus grande opacité : comme à son habitude, la Commission européenne refuse de publier le mandat de négociations. La Thaïlande, deuxième économie d’Asie du Sud-Est, est perçue par Bruxelles comme comme une porte d’entrée pour promouvoir les intérêts des entreprises multinationales européennes dans la région.
Dans une lettre ouverte publiée en novembre 2024, les organisations de la société civile thaïlandaise expriment « leurs graves inquiétudes concernant les négociations en cours sur l’accord de libre-échange et s’opposent aux dispositions proposées par l’UE qui auront un impact vaste et négatif sur l’accès aux médicaments, le système de couverture sanitaire universelle, l’agriculture, la souveraineté alimentaire, la protection des consommateurs et les moyens de subsistance du peuple thaïlandais ».
Elles font notamment référence aux dispositions sur la propriété intellectuelle qui font courir le risque de renchérir et compliquer l’accès aux médicaments, en contradiction avec les Objectifs du développement durable de l’ONU. Elles dénoncent également les pressions exercées par l’UE pour que la Thaïlande adopter la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) de 1991 qui ne pourrait là aussi que renchérir et compliquer l’accès des paysans thaïlandais aux semences, et aggraver la main-mise de l’industrie semencière multinationale.
L’UE souhaiterait que la Thaïlande libéralise les investissements étrangers et permette aux entreprises européennes d’accéder à une part plus importante des marchés publics locaux qui aujourd’hui sont réservés à des entreprises pouvant fournir a minima 60% de matériaux locaux. L’UE voudrait également que cet accord comprenne un dispositif de protection des investisseurs étrangers de type ISDS.
En retour, la Thaïlande a des intérêts à faire valoir en matière d’exportations de produits agricoles et de produits issus de la mer. La Thaïlande est en effet un exportateur mondial important de volaille, riz et thon, crevettes surgelées, ananas, de mais doux et surtout de sucre dont la Thaïlande est le second exportateur mondial derrière le Brésil.
Ainsi, la Thaïlande est le quatrième fournisseur de volaille de l’UE, après le Brésil, l’Ukraine et le Royaume-Uni, avec, selon Bruxelles, 133 400 tonnes équivalent carcasse sur les 10 premiers mois de 2024 (+2% sur un an). Avec un accord de libre-échange, les importations supplémentaires de volaille pourraient augmenter de façon si conséquente que la production communautaire pourrait baisser de 1,3 à 15 % selon les scénarios envisagés.
La Thaïlande est également le plus gros producteur mondial de thon en conserve : 450 000 tonnes par an, soit 22% de la production mondiale, dont 10 000 tonnes ont été exportées vers l’UE en 2023. Le groupe thaïlandais « Thai Union » est ainsi le leader mondial du thon en conserve et possède la marque Petit Navire depuis 2010. La Thaïlande importe du thon de pays aux pratiques de pêche douteuse avant de la transformer et le réexporter.
La Thaïlande n’a toujours pas ratifié plusieurs plusieurs conventions internationales fondamentales relatives aux droits humains et au travail ainsi que contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN). Ainsi, les organisations syndicalistes thaïlandaises ont appelé l’UE et le gouvernement thaïlandais à inclure la reconnaissance des conventions 87 et 98 de l’OIT portant sur le droit d’organisation et le droit de négociation collective dans l’accord de libre-échange UE-Thaïlande afin de protéger les droits des travailleurs.
La Thaïlande exporte également des machines, équipements électroniques et de transports vers l’UE. En 2023, l’UE était le quatrième partenaire commercial de la Thaïlande après la Chine, le Japon et les États-Unis, pour un total de 41,6 milliards de dollars d’échanges bilatéraux (21,8 milliards d’exportations vers l’UE et 19,8 milliards d’importations en provenance de l’UE). Mercedes Benz, BMW, Ducati, Bosch, Continental, Moët et Henness font partie des entreprises européennes implantées en Thaïlande : les entreprises européennes comptent pour les deuxièmes investisseurs en Thaïlande, après le Japon.
Pour aller plus loin :
- Les conventions 87 et 98 doivent être au cœur des négociations sur le libre-échange entre l’UE et la Thaïlande, 3 déc. 2024
- Lettre des Organisations de la société civile thaïlandaises au négociateur en chef de l’UE concernant les inquiétudes concernant les négociations en cours sur l’ALE avec la Thaïlande, 28 novembre 2024
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